Pour ce 2e rendez vous du mardi, un article rédigé pour l'Observatoire Boivigny et également disponible sur cette adresse consacrée elle aussi à l'enseignement supérieur. Demain, complément à cet article, l'interview d'Alain Ayache, directeur de l'Enseeiht, école fêtant actuellement son centenaire. Comme l'Essec d'ailleurs, nous en reparlerons ici.
Comment les écoles d'ingénieurs françaises doivent-elles s'adapter à la mondialisation ? Le débat n'est pas nouveau mais il se pose aujourd'hui avec acuité, ces institutions étant confrontées à un événement relativement désastreux pour leur image : la publication chaque année par l'université Jiao Tong de Shanghai du classement mondial des 500 meilleures universités. L'an dernier, seuls quatre établissements hexagonaux, l'université Paris VI, Paris XI, Strasbourg I et l'ENS, pointaient parmi les cent premiers. La première école d'ingénieurs, Polytechnique, figurait à la 207e place et les Mines de Paris en 309e position.
Nous avons recensé cinq défis majeurs que ces établissements doivent relever pour se maintenir dans la course.
1) S'ouvrir davantage à l'international
Sans une meilleure notoriété à l'international, point d'avenir pour ces écoles qui verront à terme les meilleurs enseignants et les meilleurs élèves rejoindre d'autres contrées plus renommées. « Il y a de ce côté un vrai problème, explique Alain Ayache, le directeur de l'Enseeiht (1), nos ingénieurs sont très appréciés à l'étranger mais nos institutions sont encore trop peu connues. »
Il demeure par ailleurs difficile d'attirer les étudiants étrangers dans l'Hexagone. Selon Christian Margaria, le président de la Conférence des grandes écoles, il faudrait pour cela « proposer de vrais cursus en anglais mais aussi adapter nos enseignements. Là où les universités étrangères fonctionnent avec peu d'heures de cours mais un gros travail personnel, nous obéissons encore au modèle inverse. »
2) Atteindre la taille critique
Croître en taille en se réunissant est évidemment une autre solution pour gagner en visibilité, sans constituer un remède imparable… « Si tel était le cas, tout le monde connaîtrait l'Université de Mexico», qui compte 270 000 étudiants, souligne Christian Margaria. Cette solution est néanmoins en vogue. Ainsi l'Ina PG, l'Engref et l'Ensia ont-elles récemment annoncé leur alliance au sein d'Agro ParisTech –2300 étudiants et plus de 200 enseignants-chercheurs. En parallèle se mettait en place Montpellier Sup Agro (Agro Montpellier, Cnearc et département des sciences et industries agro-alimentaires en régions chaudes de l'Ensia). Deux initiatives obéissant à la volonté du ministère de l'Agriculture et de la Pêche de réorganiser ses 25 grandes écoles en sept pôles régionaux. Autre regroupement attendu en 2007, celui de Supaéro et de l'Ensica en un Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE).
3) Former des alliances dans le cadre des PRES
Introduits par le pacte pour la recherche, les Pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ont comme objectif de «mutualiser les activités et les moyens d'établissements et organismes de recherche ou d'enseignement supérieur et de recherche, publics ou privés, relativement proches géographiquement, (pour) renforcer l'efficacité, la visibilité et l'attractivité du système français. » De quoi constituer des ensembles comparables aux établissements anglo-saxons tels Harvard, Cambridge ou le MIT, c'est-à-dire de grandes universités structurées en de nombreux collèges de plus petite taille.
Neuf PRES étaient d'ores et déjà annoncés fin 2006 –parmi eux ParisTech– regroupant 50 grandes écoles et universités. Par exemple, « le nouvel ensemble toulousain représente 120 000 étudiants dont 17 000 élèves de grandes écoles, explique Alain Ayache. De quoi selon le ministère figurer vers la 70e place du classement de Shanghai.» Le PRES de Paris-Sud est lui attendu aux alentours de la 40e position.
« La taille n'est cependant pas l'unique facteur de visibilité à l'international, complète Christian Margaria. La fréquence des publications de nos enseignants-chercheurs et leur participation aux grands congrès internationaux comptent aussi pour beaucoup. C'est ce que j'appelle l'intensité critique… »
4) Trouver de nouvelles ressources financières
Confrontées au manque de moyens de l'Etat, les écoles doivent aujourd'hui faire preuve d'imagination pour accroître leurs ressources financières. Chaires d'entreprises, levées de fonds, taxe d'apprentissage, recherche, tous les moyens sont bons. Les établissements français les plus riches restent cependant très en retard sur l'étranger. « Il est donc indispensable de réfléchir à l'évolution du montant des frais de scolarité, explique Christian Margaria. Aujourd'hui, l'enseignement supérieur ne peut plus être un droit gratuit financé par la collectivité. Il est donc nécessaire d'augmenter les tickets d'entrée jusqu'à des montants similaires à ceux pratiqués dans les institutions privées. Pour éviter toute discrimination sociale, nous pourrons faire payer ces frais non pas aux étudiants, mais aux diplômés qu'ils seront quelques années plus tard, via un système de prêts. »
5) Valoriser la recherche
A la fois ressource financière et ressource pédagogique, la recherche s'est nettement développée dans les établissements d'ingénieurs. « Aujourd'hui, plus de grande école sans recherche, souligne Christian Margaria. Mais ces progrès n'ont pas toujours été perçus par l'environnement économique. » En avance dans le domaine, les Mines de Paris annoncent année après année des revenus dépassant les 20 millions d'euros. Forte de 40 brevets déposés en cinq ans pour 8 millions de contrats annuels, l'Enseeiht revendique pour sa part trois importants laboratoires. Et son directeur de conclure : « la politique de site menée par le CNRS a encouragé par le passé la constitution d'unités mixtes entre le Centre et les universités et écoles. Cette avance de la recherche en matière de coopération représente une grande chance pour les PRES »
(1) L'Ecole Nationale Supérieure d'Electrotechnique, d'Electronique, d'Informatique, d'Hydraulique et des Télécommunications a organisé le 11 janvier dernier un débat intitulé "Universités et Grandes Ecoles: quel défi ?"
Dommage que certains de ces 5 défis majeurs ne s'appliquent pas aux écoles privées, qui sont pourtant confrontées aussi aux problèmes de visibilités dans le cadre de la mondialisation.
Rédigé par : cr0vax | 07 juin 2007 à 19:52