"Je suis très calé sur Pisistrate, mais c'est pas ça qui me fera travailler..." Cette réflexion a dix ans. Elle vient de mon meilleur ami, brillant titulaire d'une licence d'histoire mais conscient qu'il lui serait bien difficile, avec ce diplôme, de s'insérer sur le marché de l'emploi... Encore avait-il été jusqu'à la licence... Actuellement, 80 000 à 100 000 étudiants quittent chaque année l'Université sans diplôme, le taux d'échec en Deug atteignant l'effarante proportion de 40 %. Deux chiffres qui font mal, conséquence parmi d'autres d'une université sans moyens et délivrant bien souvent une formation sans rapport avec les exigences du monde professionnel.
"Apporter des réponses concrètes d'application rapide aux étudiants sur l'adéquation entre les formations dispensées dans les universités et le marché de l'emploi", telle était la (vaste) mission de la commission Hetzel. Celle-ci a achevé ses travaux et remis le rapport éponyme –du nom du recteur de l'académie de Limoges, Patrick Hetzel– le 24 octobre au Président de la République dans le cadre du grand débat national sur les "liens entre l'Université et l'emploi."
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le buzz autour du rapport a été important... Université et emploi, sujet brûlant.
Dans sa version finale, le rapport Hetzel préconise six grandes orientations...
1/ Lutter contre l'échec à l'Université notamment par la mise en place d'un contrat de formation et d'insertion entre étudiant et université avec bilan au terme du premier semestre.
2/ Améliorer l'information et l'orientation des lycéens et des étudiants notamment via la mise en place d'un observatoire des parcours des étudiants et de leur insertion professionnelle.
3/ Mettre l'accent sur la professionnalisation primo par une revalorisation de la licence, un encouragement de l'apprentissage, de l'alternance et de la validation des acquis de l'expérience, deuxio par le suivi d'un module professionnel comprenant des langues étrangères et des formations à l'informatique et à la recherche d'emploi –préparation de CV, entraînement à l'entretien d'embauche...
4/ Rapprocher durablement l'Université et le monde du travail en associant mieux les professionnels et les formations mais aussi en facilitant les conditions d'un travail à temps partiel.
5/ Mobiliser le monde du travail autour de l'université en mettant notamment en place de vraies banques de données collectées par les milieux socio-économiques, les universités et les académies sur l'orientation et l'insertion professionnelle.
6/ Faire évoluer le système universitaire en y encourageant l'insertion professionnelle des étudiants. Egalement au programme, la création d'un haut conseil de l'enseignement supérieur indépendant chargé de répartir les crédits de fonctionnement de l'Etat aux universités notamment en fonction de l'insertion professionnelle de ses étudiants.
De la Terminale au premier semestre de fac: un suivi du parcours de chaque étudiant et une réorientation si nécessaire
Mesure phare préconisée par ce rapport: sans doute la mise en place d'un contrat de formation et d'insertion, c'est-à-dire d'un vrai suivi de chaque élève depuis la Terminale, où une commission approuvera ou non ses voeux scolaires, jusqu'à la fin du premier semestre universitaire ou un premier bilan sera effectué et des réorientations éventuellement décidées. Entre autres vers les SUT et STS où seront ouvertes 40 000 à 50 000 places supplémentaires pour cela. Une manière d'éviter les mauvais choix vers des filières bouchées. Le grand mal actuel...
Les universités, par ces six orientations, devront prendre toute leur place dans le combat pour l'emploi... Presque une révolution pour la fac dont les Ayatollahs se méfient traditionnellement de l'entreprise comme la peste... Selon une synthèse du rapport: "Les pratiques originales et efficaces ne manquent pas au sein de l'Université française. Leur identification, leur diffusion et leur application à l'ensemble du système permettront aux universités de relever le défi de la formation et de l'insertion professionnelle des jeunes."
Pour en savoir plus, allez donc sur le site du débat Université-Emploi: http://www.debat-université-emploi.education.fr
Et pour lire le rapport, c'est
J'ai trouvé dans "Les Echos" une remarquable analyse d'Erik Izraelewicz, en voici quelques extraits en complément de cette note...
L’Université française a peut-être bien des qualités, elle est aussi et surtout une véritable fabrique à chômeurs. Il y a des facs qui ne délivrent que des clés pour l’ANPE. Trois ans après leur sortie de l’université, 11% des diplômés n’ont pas d’emploi. Dans les filières où il y a des débouchés, les taux d’échec sont considérables. 20% des jeunes qui entrent à l’Université en sortent sans diplôme.
Alors, pour sortir de cette situation, la commission Hetzel fait des propositions originales à un double titre. D’abord, elle ne préconise pas une nième grande réforme ; elle propose plutôt l’introduction, souvent immédiate, d’un tas de petits dispositifs. Ensuite et surtout, elle rejette les intégrismes de tout bord. Deux exemples. Pour certains ayatollahs, la solution, c’est la sélection. La commission Hetzel dit non. Non à une sélection malthusienne. Elle lui préfère une orientation des jeunes qui doit d’ailleurs commencer bien avant le bac. Pour d’autres ayatollahs, la solution, c’est une professionnalisation systématique de toutes les formations. Là encore, la Commission dit non. L’insertion des jeunes sur le marché du travail doit être l’une des préoccupations de l’Université, pas la seule.
Les universités doivent se rapprocher des entreprises, la proposition risque de braquer certains universitaires. Ce rapprochement, c’est l’une des idées fortes de la Commission. Celle-ci appelle par exemple les entreprises à ne pas chasser ses futurs cadres que dans les grandes écoles, à aider les universités à définir leurs filières, à les financer sous certaines conditions, à les informer sur les perspectives du marché de l’emploi, à leur proposer des stages et des formations en alternance. U
L’université ne doit pas être à la solde de l’entreprise ; elle doit néanmoins travailler avec elle. C’est dans l’entreprise que sont l’essentiel des emplois de demain.
Même si elles ne sont pas une entreprise, les universités doivent par exemple accepter une plus grande clarté dans la présentation de leurs produits, de leurs filières, accepter aussi de comparer leurs performances. Pour que les étudiants puissent s’orienter en connaissance de cause. Bref, entre l’université et l’entreprise, une paix des braves s’impose, d’urgence.
Rédigé par : Antoine Teillet | 29 octobre 2006 à 06:59