Depuis le temps que cette note était annoncée, la voici enfin... Il faut dire que j'ai eu du mal à joindre Antoine Jacques, auteur de l'article ainsi commenté. Mes activités, assez denses ces derniers temps, m'ont en outre largement mobilisé... Mais voici donc...
Il y a désormais trois mois était publié au sein de la revue "Esprit" un article intitulé "HEC, la réussite insouciante". L'auteur, Antoine Jacques –lui même diplômé de l'institution– y stigmatise l'opposition entre un discours maison vantant la diversité du recrutement et l'excellence de son enseignement et une pédagogie formant des étudiants standardisés, efficaces mais aussi superficiels... Vous trouverez un lien en bas de note. En attendant, interview de l'auteur.
Pour résumer, votre article reproche à HEC un enseignement nivelant les différences et modelant chaque élève en fonction d'une pensée unique relativement peu glorieuse...
Je tente de mettre en évidence un effet normatif de l'école qui, malgré son discours général, inculque à ses étudiants une manière d'être et une manière de travailler bien particulière. Rien n'est vraiment conscient dans ce processus mais si HEC existe, c'est avant tout pour répondre aux besoins de la sphère économique en personnalités capables de s'adapter rapidement aux structures entrepreneuriales et de s'approprier n'importe quel type d'objectif comme naturel et valable. Et notamment de rapidement faire partie des dirigeants de leur sphère et permettre à leur société de gagner un maximum d'argent. Mais ils ne se poseront guère de questions quant au fondement de ces objectifs.
Des managers capables de rapidement s'adapter à leur environnement et d'agir sans états d'âme...
Il n'est pas consciemment question d'agir sans état d'âme, mais les états d'âmes n'étant pas au coeur des objectifs d'une entreprise, ils disparaissent rapidement face aux préoccupations quotidiennes.
Mais comment HEC enseigne-t-il ce genre de comportement ?
La forme de l'enseignement joue beaucoup. Lorsque j'étudiais à Jouy-en-Josas, il était ainsi possible de réussir ses examens sans forcément bien connaître ses cours, simplement en en maîtrisant les principaux enjeux et surtout, en sachant mettre les formes et s'exprimer à l'écrit comme à l'oral, dans un langage clair et efficace.
De la même manière qu'un manager creusera suffisamment son domaine d'activité pour réussir –sans aller toutefois au fond des choses–, le jeune HEC prendra juste ce qui lui faudra pour être efficace à court terme et atteindre ses objectifs.
Vous dénoncez aussi une certaine vie associative...
Ce qui est étonnant, c'est que rien n'est jamais grave à HEC. Notamment en matière associative, que l'on parle de sport, de loisirs ou d'humanitaire... Les enjeux ne sont pourtant pas comparables. J'ai en mémoire le retentissant échec d'une association humanitaire habituée à se rendre chaque année au Népal. Il fut une année où les étudiants sont partis sans avoir du tout préparé le voyage. Conséquence logique, un grand bazar et un vrai rejet de la part des Népalais.
Voilà le risque de vivre dans un univers protégé et confortable.
Attention, je ne suis pas en train d'accuser les diplômés d'écoles de commerce d'être des monstres d'insensibilité ne s'intéressant à aucune cause. Ils sont même souvent nombreux à s'engager dans ce genre d'association. Ce que je reproche, c'est la superficialité de leur engagement et le fait de s'intéresser avant tout à l'efficacité de leur action et à leur propre position dans leur structure.
Le diplômé HEC n'est donc qu'un ambitieux ?
C 'est plus subtil. Son objectif consistera tout d'abord faire réussir son entreprise tout en réussissant lui-même, pour toujours être dans le cercle des gagnants.
Des objectifs a priori compréhensibles... Pourquoi cette manière de faire vous choque-t-elle ?
Ce sentiment m'est venu alors que j'étais encore étudiant à HEC. Jusqu'à mon entrée dans cette institution, je m'étais toujours senti concerné par les grands enjeux sociaux et d'actualité. Une fois pris dans les cours, les loisirs, l'émulation et l'ambition, j'ai inconsciemment perdu une part de ma sensibilité aux problématiques sociales.
Je m'en suis rendu compte en milieu de 2e année lors d'une étude que j'acommplissais pour la Junior-entreprise. Alors que nous jouions le rôle de cobayes lors d'entretiens d'embauches fictifs montés pour notre client, un responsable m'a demandé ce que je voudrais changer dans notre société. Et j'ai seché. J'ai alors pris conscience de cette anesthésie dont j'avais été victime...
Attention, je ne dis pas que HEC est coupé du monde mais je regrette que l'institution livre à ses étudiants une perception de la société dépourvue d'aspérités, une version du monde tronquée et donc une formation imparfaite. Même si ce mode de pensée est très efficace pour réussir en enteprise et pour suggérer un plan social sans tenir compte des situations de chacun. De manière à réduire un contexte socio-économique à une simple question de rentabilité.
Au fait, pourquoi usez-vous d'un pseudo ?
Diplômé de HEC, je ne souhaite pas que cet article soit associé à mon cas particulier et jugé à l'aune de ce que j'ai pu faire ou ne pas faire là-bas. Il y a peut-être aussi, c'est vrai, un peu de prudence de ma part...
A ce sujet, je voudrais mettre en évidence un commentaire qui m'a été fait sur le succès que ce texte aurait pu rencontrer s'il était paru aux USA, comme éloge de l'efficacité et de la réussite de l'institution qui, au final, forme de vrais gagnants. En France, impossible de tenir ouvertement ce discours. Il faut reconnaître que si HEC a mis en oeuvre des méthodes de réussite éprouvées, elles sont assez éloignées du discours de l'établissement. C'est dommage.
Pour retrouver l'article intégral: http://www.esprit.presse.fr/review/article.php?code=13573
Illustration: (c) geoportail.fr
Bonjour,
Voilà un article qui romps avec ce que nous avons l'habitude de lire. Pour ma part je n'ai pas étudié à HEC (j'aurais bien aimé) Mais j'ai lu pas mal de livres sur le management. On y trouve de nombreuses recettes sur comment manipuler, marginaliser, casser, et exclure ceux qui pourraient géner le développement. A vous de voir si vous devez ou no les utiliser.
Cordialement,
Patrick
Rédigé par : Patrick | 30 décembre 2006 à 19:00
Cet article est en effet très intéressant dans la mesure où il est à contre-courant des articles habituels (et superficiels) sur "HEC, la meilleure école de commerce..."
Cependant, étant moi-même dans en école de commerce, je tiens à exprimer mon point de vue :
- globalement, la thèse défendue par l'auteur est fondée, même s'il s'agit d'une critique très sévère. C'est un angle de vue personnel de l'auteur, et cet angle de vue est assez cohérent : HEC formate des promos de "gagneurs".
- néanmoins, beaucoup des points cités par l'auteur sont en réalité commun à (quasiment) toutes les écoles de commerce : les luttes de pouvoir et de popularité entre les différentes association, l'arrivisme et le carrièrisme des étudiants, les soirées limites, etc., etc.
- finalement, il serait peut être plus juste de noter les 2 spécificités d'HEC : premièrement, le fait d'être dans l'école numéro 1 fait que les élèves sont encore plus arrogants qu'ailleurs, ils ont le sentiment d'avoir "réussi dans la vie" alors qu'ils ont à peine 20 ans, et en sont très fiers. Deuxièmement, le fait que le campus soit "une ville dans la ville" et qu'il n'y ait rien à faire en dehors du campus, c'est-à-dire à Jouy, fait qu'un étudiant peut réellement passer 1 mois dans le campus sans en sortir (à condition de n'avoir pas peur de s'y ennuyer le week end), d'où un certain isolement par rapport au monde extérieur.
Rédigé par : john | 04 janvier 2007 à 19:03
j'oubliais un truc :
le fait de pouvoir valider ses matières en ayant juste lu le cours de quelqu'un d'autre et en connaissant juste 2 ou 3 concepts pipo du cours, ça c'est vraiment partout pareil... (systèmes de réponses avec mots-clés, voire QCM...). Pas seulement à HEC !
C'est certain que "valider" ne signifie pas du tout maitriser les notions acquises. Après, tout est une question de choix personnels... Certains élèves estiment que les études sont chères, et qu'en contre partie il faut avoir certains principes personnels, comme travailler pour apprendre vraiment quelque chose. D'autres élèves pensent que le diplome suffit, et que les connaissances scolaires ne seront d'aucune utilité en entreprise... Ceux là pensent que les cours d'école de commerce sont du "vent" par rapport aux cours de prépa.
Rédigé par : john | 04 janvier 2007 à 19:12
Bonjour John, bonjour Patrick...
Voilà des commentaires engagés... Que les défenseurs de HEC n'hésitent pas non plus à se manifester. Etudiants, enseignants, j'attends tout le monde...
A bientôt.
Rédigé par : Antoine Teillet | 08 janvier 2007 à 14:45
Vous avez demandé le commentaire d'un HEC?
Je suis un nouvel arrivant tout frais. D'une je ne suis pas arrogant, parce que de formation littéraire je n'ai jamais baigné dans la mythologie HEC des prépas du même nom. De deux mon engagement dans mes associations est profond et ne fait que prolonger un travail entrepris longtemps auparavant qu'HEC me donne les moyen de continuer.
Le gros avantage d'HEC c'est de nous donner les moyens. Les cours, les profs, les financement, les assoces, les visites de personnalités dans tous les domaines, des rencontres avec les entreprises, du temps libre, etc. Libre à chacun de faire ce qu'il veut de ses moyens-là.
La critique qu'on peut faire niveau enseignement n'est pas du tout sur le niveau de facilité des validations qui est, merci John, partout le même. Je pense que ce qu'il manque c'est un peu de sciences humaines, on n'enseigne à HEC pratiquement que des matières techniques (mais là encore c'est sans doute pareil dans les autres écoles.
Ma question pour l'auteur, c'est: dans quelle mesure toutes ces critiques (dont certaines sont moins fondées que d'autres)sont-elles propres à HEC? Ne peut-on pas dire la même chose des autres écoles de commerce, voire des écoles d'ingénieur aussi?
Rédigé par : Laurent | 17 janvier 2007 à 13:14
Egalement étudiant à HEC, les critiques faites à la formation me semblent assez pertinentes mais plus au niveau des écoles de commerce qu'HEC spécifiquement, comme le souligne bien John.
Pour sa défense, je dirais que le cycle "complet" qui inclut la prépa est cohérent dans la mesure où les questions éthiques, philosophiqes..etc sont largement abordées en prépa où l'on nous forme à réfléchir et à se poser de bonnes questions. Il est donc légitime d'insister ensuite sur les questions techniques: but de la formation HEC.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que la théorie des organisations, le séminaire biotechnologie et les conférences de science humaines que nous avions eu en première année étaient perçu par les élèves comme pipo et pas du tout ce qui était demandé à la formation. Or ce sont bien ces cours là qui sont censé nous faire prendre du recul par rapport à notre formation !
Rédigé par : Alexis | 17 janvier 2007 à 14:12
Trois petites réponses de l'auteur (s'il n'est pas trop tard) :
1/ Je suis tout à fait d'accord avec les remarques visant à associer les autres écoles de commerce aux problématiques soulevées dans le texte. Si je suis resté centré sur HEC, c'est d'abord par prudence : c'est la seule école que j'ai faite ! C'est ensuite parce que certaines caractéristiques propres à cet établissement (le campus, la réputation de leader...) ont tendance à souligner les traits évoqués. Il n'en reste pas moins que le modèle ESC est, sur de nombreux points, partout semblable.
2/ La réponse de l'étudiant "tout frais" de 1ère année me touche, tant ses réflexions ressemblent aux miennes, au moment de mon arrivée dans l'école. Du reste, je me souviens très bien d'une remarque du prof qui animait pour ma classe ce qu'on appelait à l'époque le "séminaire inaugural", une espère de semaine d'introduction. Il affirmait que nous étions certainement beaucoup plus vigilants, sensibles et critiques en entrant que nous le serions trois ou quatre ans plus tard. Mon papier s'efforce de montrer comment la machine - école fait dériver les étudiants de cette vigilance (quand ils l'ont) vers l'insouciance. Ce n'est pas une fatalité, mais garder les yeux ouverts n'est pas si simple.
3/ Les constats avancés dans le dernier post sont justes. Mais n'est-il pas significatif que l'école se débarrasse au plus vite des matières porteuses d'esprit critique, au point qu'Alexis puisse affirmer : le recul d'abord, la technique ensuite ? Ce découpage chronologique, vecteur d'oubli par sédimentation, est redoutable.
Rédigé par : Antoine Jacques | 27 janvier 2007 à 20:12